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pas comment son grand-père maternel avait gagné sa fortune ; il avait été aux Indes, et cela répondait à toutes les questions. Quant à la famille de son père, elle n’ignorait pas qu’elle était assez haut placée pour n’avoir fait aucune attention à sa mère, qui, néanmoins, conservait avec orgueil le portrait d’une de ses parentes, lady Molly. Elle en aurait probablement su davantage sur son père, car le capitaine Davilow n’était que son beau-père, sans un petit incident qui arriva quand elle avait douze ans. Madame Davilow, qui ne faisait qu’à de longs intervalles l’exhibition des souvenirs de son premier mari, montrait un jour sa miniature à Gwendolen et lui racontait que le pauvre cher papa était mort quand sa petite fille était encore au maillot. Gwendolen, pensant aussitôt à son peu aimable beau-père, dit :

— Pourquoi vous êtes-vous remariée, maman ? Il aurait mieux valu ne pas le faire.

Madame Davilow rougit jusqu’au blanc des yeux ; un nuage passa sur sa figure ; elle s’écria avec une violence qui ne lui était pas habituelle :

— Tu n’as point de sensibilité, mon enfant.

Gwendolen, qui aimait sa mère, en fut toute honteuse, et n’osa plus, depuis lors, parler de son père.

Ce ne fut pas la seule fois qu’un remords filial vint la visiter. Il avait été convenu que, quand ce serait possible, on lui dresserait un petit lit dans la chambre de sa mère ; car madame Davilow témoignait une tendresse toute particulière à sa fille aînée, qui était son enfant de prédilection et qu’elle avait eue à l’époque la plus heureuse de sa vie. Une nuit qu’elle était malade, la potion qui devait être auprès de son lit ayant été oubliée, elle pria Gwendolen de se lever et de la lui apporter. La petite égoïste, blottie dans ses couvertures et ayant bien chaud, répondit par un refus. Sa mère dut se passer de sa potion, et pour-