Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/348

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— Je pense à me marier… Vous avez vu miss Harleth ?

— Vous l’a-t-elle dit ?

Ses joues pâles le devinrent plus encore, peut-être parce que ses yeux brillèrent davantage.

— Non ; c’est Lush qui me l’a appris.

— Bon Dieu ! dites-moi tout de suite que vous allez l’épouser ! s’écria-t-elle avec colère. Ses jambes tremblaient et ses mains se serrèrent convulsivement.

— Cela devait arriver un jour ou l’autre, Lydie, dit-il sans s’inquiéter de la peine qu’il lui faisait.

— Vous n’en avez pas toujours vu la nécessité.

— C’est possible ; mais je la vois maintenant.

Dans ces quelques mots, prononcés d’une voix basse par Grandcourt, elle sentit une résolution invincible et absolue. Elle ne pleura pas et ne répondit rien ; elle était trop rudement froissée par cette certitude inattendue pour essayer de maîtriser son émotion. Elle se leva comme mue par un ressort et alla poser son front brûlant contre les vitres de la fenêtre. Les enfants qui jouaient sur le préau crurent qu’elle les appelait et accoururent avec leurs doux visages interrogateurs. Cette vue la rappela à elle-même : elle leur fit signe de s’éloigner et revint se laisser tomber sur une chaise.

Grandcourt s’était levé aussi ; il était doublement ennuyé ; de la scène d’abord et ensuite du sentiment qu’aucune arrogance de sa part ne pouvait la lui épargner. Mais il fallait en finir et arranger les choses de façon à n’être pas troublé à l’avenir. Il était adossé à la cheminée ; elle le regarda et lui dit avec amertume :

— Tout ceci est sans conséquence pour vous. Les enfants et moi, nous sommes des importuns. Vous voudriez déjà être retourné auprès de miss Harleth.

— Ne faites pas la chose plus désagréable qu’il n’est besoin, Lydie. Il est inutile de revenir sur ce que l’on ne peut changer. C’est très désagréable pour moi de vous voir vous