Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/381

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voyons le danger d’endommager un ouvrage bien commencé. Il était ravi d’avoir secouru cette enfant habituée à la douleur et de penser qu’il avait soulagé ses pauvres petits pieds endoloris.

— Je préférerais perdre un doigt, se disait-il, que de troubler sa paix. Ç’a été une des faveurs les plus rares de la fortune que j’aie eu des amies comme les Meyrick pour la placer chez elles ; amies généreuses, délicates, sans hauteur, et pour lesquelles sa dépendance n’est pas seulement une sûreté, mais un bonheur. Aucun refuge ne pourrait remplacer celui-ci. Mais à quoi bon mon renoncement et ma prudence, si ce brouillon de Hans renverse tout ?

Rien n’était plus probable. Hans était fait pour les contre-temps ; mais il n’y avait pas moyen de l’empêcher de venir à Londres. Il avait l’intention d’y ouvrir un atelier et de s’y établir. Lui proposer de différer son retour pour un motif quelconque en lui celant la vérité, qui était de gagner du temps pour que la position de Mirah fût devenue plus solide et indépendante, lui paraissait impraticable. Il se dit que le cas était exceptionnel et qu’il ne pouvait la prémunir contre aucun danger avant que le danger se manifestât. Sauver une pauvre juive qui voulait se noyer pouvait ne pas être rare dans les rapports de police ; mais découvrir en elle une perle comme Mirah, c’était un événement exceptionnel qui pourrait bien amener d’exceptionnelles conséquences. Quant à la recherche de sa mère et de son frère, Deronda prit ce qu’elle avait dit le jour même pour un avertissement de différer toute mesure immédiate.

— Je le ferai cependant un jour. Telle fut sa détermination finale. J’attendrai jusqu’après Noël.

Quelle belle chose que le calendrier, quand nous voulons éloigner un devoir désagréable !