Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pourquoi supposes-tu qu’elle veuille faire ce qui n’est pas convenable ?

— Tu sais bien que souvent Gwendolen n’en fait qu’à sa tête, répondit Anna, qu’un petit mouvement de colère rendit plus hardie.

— En ce cas, elle ne m’écouterait pas, fit Rex en plaisantant la pauvre Anna, qui montrait une si grande inquiétude.

— Oh ! Rex, n’y va pas ; tu vas te rendre très malheureux. Puis elle fondit en larmes.

— Nannie, Nannie ! qu’est-ce que cela signifie ? s’écria Rex un peu impatienté et qui avait déjà pris son chapeau et son fouet.

— Elle ne pense pas à toi le moins du monde ! J’en suis sûre ! fit à travers ses sanglots la pauvre enfant, qui n’avait pu conserver son empire sur elle-même.

Rex rougit à ces mots et s’éloigna, la laissant désolée et convaincue de s’être montrée en vain importune.

Tout en galopant, il réfléchit aux paroles de sa sœur. Elles avaient, comme toutes les prédictions défavorables, même celles dont on se moque, le tort de sonner désagréablement ; mais, comme il savait bien qu’elles émanaient de la tendresse de sa petite Anna, il fut chagriné d’être obligé de s’éloigner sans la calmer. Du reste, sa croyance était absolument contraire à celle de sa sœur ; mais le doute et un certain malaise qu’il ne s’expliquait pas, l’excitèrent à tenter une démarche qu’une sécurité complète aurait encore retardée.

Gwendolen, à cheval, attendait son cousin au bas de l’avenue qu’elle avait déjà montée et descendue deux ou trois fois. Elle s’était précautionnée contre un désappointement s’il n’était pas venu à temps, et son groom était prêt à la suivre. Quand Rex arriva à la grille, le groom fut renvoyé et nos deux cavaliers partirent en humant à pleins poumons