Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/83

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pendue entre l’envie d’affirmer sa liberté et la crainte d’être mise sur le même rang que madame Gadsby.

Quelquefois des dames nobles des environs venaient voir lâcher les chiens ; mais, par un hasard singulier, ce matin-là, il ne s’en trouvait pas une, et madame Gadsby, avec ses antécédents grammaticaux et autres, ne s’était pas montrée, ce qui permettait de suivre la chasse sans inconvenance. Aussi Gwendolen ne put-elle résister au stimulant produit par les aboiements des chiens, les piétinements des chevaux, les éclats variés des voix d’hommes, le va-et-vient incessant sur le terrain vert et gris, et enfin par la surexcitation bien plus irrésistible de la chasse qui allait commencer. — Rex aurait eu le même plaisir s’il avait pu rester auprès de Gwendolen et s’il ne l’avait vue accaparée ou regardée par les cavaliers montés sur des chevaux fringants, impatients de dévorer l’espace avec la rapidité de l’éclair.

— Charmé de vous voir ici par cette belle matinée, miss Harleth, dit lord Brackenshaw, pair d’un âge mûr, de manières aristocratiques et faciles, en veste rouge, pour qui la menace d’un déluge eût été de peu de conséquence. — Nous avons une chasse de premier ordre. Quel dommage que vous ne veniez pas avec nous ! Avez-vous déjà songé à faire franchir un fossé à votre petit bai brun ? Je suis sûr que vous n’auriez pas peur, eh ?

— Pas le moins du monde, s’écria Gwendolen, et c’était vrai ; elle ne craignait rien quand elle était avec quelqu’un. Je lui ai fait souvent sauter des barrières et même un fossé près de…

— Ah ! par Jupiter ! dit tranquillement Sa Seigneurie, faisant un geste pour indiquer qu’elle était obligée de rompre l’entretien ; et comme lord Brackenshaw rassemblait les rênes de son cheval, et que Rex arrivait sur son modeste poney auprès de Gwendolen, les chiens donnèrent de