Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/95

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— Mon père veut que j’aille à Southampton pour le reste des vacances, dit-il de sa voix de baryton un peu tremblante.

— À Southampton ? Mais c’est un endroit absurde, dit froidement Gwendolen.

— Il le sera certainement pour moi, puisque vous n’y serez pas.

Silence.

— Regretterez-vous mon départ, Gwendolen ?

— Certainement. Tout a de l’importance dans ce triste pays, répondit sèchement Gwendolen, qui, s’apercevant que Rex voulait être tendre, reculait et se recroquevillait comme une anémone de mer dont on approche le doigt.

— Seriez-vous irritée contre moi, Gwendolen ? Pourquoi me traitez-vous si mal ?

Gwendolen le regarda et sourit avec une teinte d’amertume.

— Je vous traite donc mal ? Quelle niaiserie ! Il est possible que je sois maussade ; mais pourquoi venir de si bonne heure ? Il fallait bien vous attendre à trouver mon humeur en négligé.

— Soyez maussade avec moi tant que vous le voudrez, seulement ne me traitez pas avec indifférence, dit Rex d’un air suppliant. Tout le bonheur de ma vie est dans vos mains. Aimez-moi seulement un peu mieux que tout autre.

Il voulut lui prendre la main, mais elle la retira vivement et alla se placer de l’autre côté de la cheminée en le regardant fixement.

— Ne me parlez pas d’amour, je n’aime pas cela !

Elle lui parut féroce. Il pâlit et demeura silencieux. Quant à Gwendolen, ce qu’elle éprouvait était nouveau pour elle. La veille, elle savait que son cousin l’aimait et ne s’en inquiétait pas ; si on lui avait demandé pourquoi elle refusait d’entendre des paroles d’amour, elle aurait répondu en riant : « Je suis lasse d’en lire dans les romans ».