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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/300

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Il m’a laissé entrevoir que l’accord n’était pas des plus parfaits chez ce couple. Mais j’imagine que tu dois connaître mieux que personne les sentiments de madame Grandcourt, hein, Dan ? Sir Hugo ne fit pas cette question avec sa jovialité ordinaire ; au contraire, sa voix dénotait un vif intérêt. Deronda se dit que tout faux-fuyant serait mal interprété et répondit avec gravité :

— Elle n’a certainement pas été heureuse. Ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre. Quant à la disposition de la fortune, si j’ai bien compris ses confidences, je puis affirmer qu’elle en sera satisfaite.

— Alors elle ne ressemble pas aux autres personnes de son sexe, repartit le baronnet en haussant les épaules. Il y a cependant quelque chose d’étrange et ton horoscope doit se mêler au sien ; car, lorsque ce terrifiant télégramme m’est parvenu, la première observation de lady Mallinger fut : Quelle drôle de chose que ce soit Daniel qui l’envoie ! »

Un silence de quelques minutes suivit ces mots. Sir Hugo avait commencé à s’occuper des Grandcourt comme du sujet le moins épineux entre Deronda et lui : tous deux néanmoins étaient résolus à surmonter leur répugnance et à causer en toute franchise de l’événement qui touchait à leurs rapports mutuels. Deronda sentait que la lettre qu’il avait adressée au baronnet après sa première entrevue avec sa mère, avait épaissi plutôt que brisé la glace, et qu’il devait attendre que la première ouverture vînt de sir Hugo. Au moment où ils allaient perdre de vue le port, le baronnet se retourna, comme pour le regarder encore une fois, et dit d’un ton plus sérieux :

— Et la principale affaire qui t’a conduit à Gênes, Dan ? Tu n’as pas été trop peiné de ce que tu as appris, j’espère ? Rien ne t’oblige à changer de position ; tu sais que, quoi qu’il arrive, tu seras toujours d’importance pour moi.