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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/212

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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

sus plus tard qu’elle avait pris du poison ; qu’elle était au pouvoir d’une femme corrompue ; que les vêtements même qui la couvraient ne lui appartenaient pas. Ce fut alors que mon passé se dressa devant moi dans toute sa laideur. Je désirais n’être jamais né. Je ne pouvais envisager l’avenir. Le visage peint de Lucy m’y suivrait comme il le faisait quand je regardais dans ce passé — comme il le faisait lorsque je m’asseyais à table avec des amis, quand je me couchais, quand je me levais. Une seule chose pourrait me rendre la vie supportable : ce serait de l’employer à préserver les autres de la ruine que je m’étais attirée. Mais comment le pourrais-je ? Je n’avais point de soutien, point de force, point de sagesse dans l’âme ; comment pouvoir en donner aux autres ? Mon esprit était obscurci, rebelle, en lutte avec lui-même et avec Dieu. »

M. Tryan, en parlant, avait regardé dans le vide, absorbé par les images que sa mémoire lui rappelait. Mais maintenant il se retourna vers Jeanne, et ses regards rencontrèrent ceux de la jeune femme fixés sur lui, avec cette expression d’attente ravie du naufragé qui, cramponné à un roc, tandis que les vagues montent de plus en plus, voit un bateau détaché du rivage pour venir à son secours.

« Vous voyez, madame Dempster, combien j’avais besoin de secours. Je vécus ainsi pendant plusieurs mois, convaincu que, si je trouvais