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CHAPITRE X


Le jeune Ladislaw s’abstint d’aller voir M. Brooke, et, à quelques jours de là, M. Casaubon mentionna en passant le départ de son jeune cousin pour le continent, semblant indiquer son désir d’éviter les questions. Will, d’ailleurs, donnait libre carrière à sa fantaisie dans la vaste arène de l’Europe, sans préciser le lieu ou le but qui l’attirait davantage. Le génie, pensait-il, doit avant tout s’affranchir de toute entrave : assuré d’un libre essor, il peut laisser venir à lui ces messagers de l’univers qui le pousseront à l’œuvre pour laquelle il est désigné, et attendre les chances sublimes qui s’offriront à lui. Mais il est différentes manières d’attendre, et, si Will en avait de bonne foi essayé plus d’une, il faut croire que les circonstances propres à éveiller tout d’un coup son génie n’étaient pas encore venues, l’univers ne lui avait pas encore fait signe. La fortune de César lui-même n’avait été à une certaine époque qu’un vaste pressentiment. Nous n’ignorons pas que des organismes actifs peuvent se cacher sous des embryons impuissants. Le monde est, en somme, rempli d’analogies grosses d’espérances et de jolis œufs de réussite douteuse appelés possibilités.

Will voyait assez clairement chez Casaubon les résultats misérables d’une longue incubation qui n’avait jamais rien fait éclore ; et, sans la gratitude à laquelle il était tenu, il eût ri de ce travail soutenu, de ces inutiles rangées de manuscrits, de ce triste flambeau de théorie savante qui semblaient donner raison à sa propre conduite et l’encourager dans son généreux abandon aux intentions de l’uni-