Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/187

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souhaiter que l’on sût à Middlemarch, sans qu’il eût à le dire, qu’il était d’une naissance plus relevée que les autres médecins de campagne. Il était loin, quant à présent, de se préoccuper d’un mobilier pour lui-même ; mais, s’il avait un jour à y songer, ni la biologie ni ses projets de réforme ne suffiraient sans doute à l’élever au-dessus de ce sentiment vulgaire qui lui aurait fait voir une choquante inconvenance dans le choix d’un mobilier qui ne fût pas d’une suprême distinction.

Quant aux femmes, il avait été emporté une fois par une folle et impétueuse passion qu’il pensait bien devoir être la dernière, le mariage, à un âge plus mûr, ne pouvant plus avoir cette impétuosité. Pour qui veut connaître Lydgate, il sera bon de savoir ce qu’avait été cette impétueuse folie, exemple de la passion irrésistible et désespérée, alliée chez lui à cette bonté chevaleresque, qui faisait aimer son être moral. L’histoire peut être contée en peu de mots. C’était pendant qu’il faisait ses études à Paris et précisément à une époque où il s’occupait, à côté de son travail, d’expériences de galvanisme. Un soir, fatigué de ses expériences, il laissa ses grenouilles et ses lapins se reposer des chocs mystérieux auxquels il les soumettait, et alla finir sa soirée au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Ce n’était pas le mélodrame qui l’attirait, il l’avait déjà vu plusieurs fois, mais une actrice dont le rôle était de poignarder son amant. Lydgate était amoureux d’elle, comme un homme peut l’être d’une femme à laquelle il n’espère pas pouvoir jamais parler. C’était une Provençale aux yeux noirs, au profil grec, avec des formes pleines et majestueuses, dont la voix était un mélodieux roucoulement. Elle n’était arrivée que depuis peu à Paris et s’y était fait une réputation de vertu, c’était son mari qui jouait avec elle le rôle de l’amant infortuné.

Le seul délassement de Lydgate était alors d’aller de temps à autre se plonger dans la contemplation de cette