Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie n’a pas été plus mauvaise que nous ne le pensons, Marthe.

— Je n’ai jamais été avide, Jane, répliqua la pauvre mistress Cranch, obèse et asthmatique. Mais j’ai six enfants, et j’en ai enterré trois, et mon mariage ne m’a apporté aucune fortune. L’aîné qui est assis là n’a que dix-neuf ans. Aussi je vous laisse à penser !… Et les fonds sont toujours maigres et les terres des plus mauvaises. Mais, si jamais j’ai mendié et prié, c’est au Dieu du ciel que je me suis adressée ; pourtant, là où il y a un frère célibataire et un autre sans enfants après un second mariage, on peut bien penser !

M. Vincy, tout en observant le visage impassible de M. Rigg, jouait avec sa tabatière.

— Je ne serais pas étonné que Featherstone eût agi sous l’empire de meilleurs sentiments que ceux que nous lui prêtons tous, observa-t-il à l’oreille de sa femme. Cet enterrement prouve qu’il a pensé à tout le monde. Cela est d’un bon effet, qu’un homme désire être accompagné par tous ses amis et qu’il ne rougisse pas des plus humbles. Je n’en serais que plus heureux, s’il avait laissé beaucoup de petits legs. Ces legs sont souvent d’une utilité incomparable aux gens qui vivent à l’étroit.

— Rien ne laisse à désirer, dit mistress Vincy avec satisfaction, le crêpe, la soie et tout le reste.

Je suis fâché de dire que Fred, pendant ce temps, luttait non sans peine contre une persistante envie de rire. Fred avait entendu Jonas suggérer l’idée de quelque enfant illégitime, et, au moment où le ridicule de cette idée l’amusait, la figure de l’étranger, qui se trouvait par hasard en face de lui, le frappa d’une façon par trop comique. Mary, s’apercevant de sa détresse au tremblement de ses lèvres et à certaine petite toux bien connue, vint habilement à son aide en le priant de changer de place avec elle, de sorte qu’il se trouva à l’écart dans un coin plus obscur. Fred se sentait