Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/45

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— Je t’en prie, Dorothée, il est temps que tu saches enfin où tu en es. L’autre jour, pendant que Tantripp me coiffait, elle m’a dit tenir du domestique de sir James, instruit lui-même par la femme de chambre de mistress Cadwallader que sir James épouserait l’aînée des misses Brooke.

— Comment peux-tu permettre à Tantripp de tels commérages, Célia ? s’écria Dorothée indignée, et d’autant plus vexée que certains détails endormis dans sa mémoire se réveillaient soudain pour confirmer cette révélation désagréable. Tu l’as questionnée, sans doute ; c’est honteux.

— Je ne vois pas de mal à ce que Tantripp me cause. Il vaut toujours mieux écouter ce que les gens ont à dire. Tu vois quelles erreurs tu commets en ne t’attachant jamais qu’à tes idées, à toi. Je suis sûre que sir James a l’intention de t’offrir sa main, et il croit que tu l’accepteras, surtout depuis qu’il t’a vue si bien disposée pour lui à propos de tes plans. Et mon oncle aussi ; il s’y attend, je le sais. Il est facile d’ailleurs de voir que sir James est très amoureux de toi.

Ce bouleversement inattendu de toutes ses idées fut si pénible à Dorothée que les larmes lui montèrent aux yeux et tombèrent abondamment. Voilà mes chers plans écroulés, se dit-elle, et elle pensa avec horreur que sir James s’était certainement imaginé qu’elle voyait en lui un amoureux. — Elle en voulait aussi à Célia.

— Comment a-t-il pu le croire ? s’écria-t-elle avec son impétuosité ordinaire, je n’ai jamais été d’accord avec lui en rien, excepté à propos des chaumières ; jusque-là, je n’ai été que tout juste polie et pas du tout aimable.

— Mais, depuis, tu t’es si bien entendue avec lui qu’il commence à être convaincu que tu l’aimes…

— Que je l’aime ! Célia, comment peux-tu te servir de telles expressions ? dit Dorothée avec feu.

— Mon Dieu, Dorothée ! Il me semble qu’il serait bien à toi d’aimer l’homme que tu accepteras comme époux.