Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/516

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vous le voyiez, ma chère. Je donnerai des ordres pour qu’on me l’envoie dans l’allée des Ifs, ou je vais aller faire ma promenade habituelle.

Lydgate, en entrant dans l’allée des Ifs, vit M. Casaubon, qui s’éloignait lentement, les mains derrière le dos selon son habitude et la tête penchée en avant. L’après-midi était radieux. Les feuilles des hauts tilleuls tombaient sans bruit au milieu de la sombre verdure des ifs, tandis que les lumières et les ombres dormaient côte à côte ; on n’entendait d’autre bruit que le croassement des corneilles qui est comme une berceuse à l’oreille accoutumée, ou bien comme cette dernière berceuse solennelle, un chant funèbre. Lydgate, conscient de son énergie physique encore dans toute la force de son printemps, ressentit quelque compassion quand le personnage au-devant duquel il s’avançait se retourna, laissant voir, à mesure qu’il approchait, les signes plus apparents que jamais d’une vieillesse prématurée : les épaules courbées du savant, les membres décharnés et les lignes mélancoliques de la bouche.

« Pauvre homme ! pensa-t-il. Il y a des hommes qui sont encore comme des lions à son âge, sur lesquels on ne peut même constater d’autre déclin que l’arrêt du développement. »

— Monsieur Lydgate, commença M. Casaubon de son air invariablement poli, je vous suis extrêmement obligé de votre ponctualité. Nous allons, si vous le voulez bien, continuer notre conversation ici en allant et venant.

— J’espère que ce n’est pas une aggravation de votre mal qui vous a fait désirer de me voir, dit Lydgate après un moment de silence.

— Pas absolument, non. Pour excuser ce désir je dois vous faire part d’une chose dont il serait sans cela inutile de vous instruire, c’est que ma vie, insignifiante sous tous les rapports accessoires, acquiert une certaine importance par suite de l’état inachevé des travaux qui ont rempli mes