Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/74

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rejoindre les Frères Moraves ou quelque autre secte extravagante, ignorée de la bonne société.

L’habitude de mistress Cadwallader de mettre toujours les choses au pire le rassurait pourtant un peu.

— Qu’est-il arrivé à miss Brooke ? Parlez, je vous en supplie.

— Eh bien, elle est fiancée…

Mistress Cadwallader s’arrêta un moment en remarquant l’expression profondément altérée du visage de son ami, qui s’efforçait de la dissimuler sous un sourire nerveux, tout en frappant sa botte de sa cravache.

— … Fiancée à Casaubon.

Sir James laissa tomber sa cravache et se baissa pour la ramasser ; son visage n’avait peut-être jamais exprimé un dégoût aussi profond que lorsqu’il se tourna vers mistress Cadwallader, en répétant : « Casaubon ! »

— Précisément. Voilà ce que j’avais à vous dire.

— Grand Dieu ! c’est horrible ! Mais cet homme n’est qu’une momie !

Il ne faut voir dans ce jugement que celui d’un rival aussi florissant que désappointé.

— Elle dit qu’il a une grande âme ! c’est-à-dire une grande vessie dans laquelle on peut secouer des pois secs.

— Qu’est-ce qu’un vieux célibataire comme lui a donc affaire de se marier ? dit sir James. Il a déjà un pied dans la tombe.

— Je suppose qu’il a l’intention de l’en retirer.

— Brooke ne devrait pas donner son consentement. Il devrait insister pour que Dorothée attendît sa majorité ; elle en jugerait mieux alors. À quoi sert donc d’avoir un tuteur ?

— Comme si on pouvait jamais faire prendre une résolution à Brooke !

— Cadwallader pourrait lui parler.

— Lui moins que personne. Il trouve tout le monde