Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/76

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Tout ce qu’on pourrait dire, c’est que ces petites combinaisons matrimoniales rentraient dans les ingrédients dont la femme du recteur aimait à se composer une nourriture dont elle avait besoin. Sa vie rurale était toute simple, absolument exempte de toute espèce de mystérieuses machinations, et en dehors des grandes affaires du monde ; mais les affaires du monde ne l’en intéressaient pas moins, surtout lorsqu’elle les apprenait par des lettres de parents haut placés : la façon dont de beaux cadets de famille avaient pris le chemin de l’hôpital pour avoir épousé leurs maîtresses ; l’idiotisme de grand ton du jeune lord Tapir et les accès d’humeur morose du vieux et goutteux lord Mégathérium ; le croisement des généalogies qui avait fait passer une couronne de noblesse dans une branche nouvelle et donné carrière aux histoires scandaleuses ; tels étaient les sujets dont elle retenait les détails avec la plus minutieuse exactitude, et qu’elle resservait aux autres, assaisonnés d’excellents pickles d’épigrammes, dont elle se régalait elle-même. Elle croyait aussi fermement à la haute et à la basse extraction qu’elle croyait au gibier et à la vermine. Jamais la pauvreté ne lui aurait fait renier personne : dans la ruine d’un de Bracy réduit à manger son dîner dans une écuelle, elle n’eût vu qu’un exemple pathétique digne de louange et de glorification ; et je crains même que ses vices aristocratiques ne l’eussent que faiblement indignée. Mais elle éprouvait pour les bourgeois enrichis un sentiment qui ressemblait à une haine religieuse.

Inflammable comme le phosphore et toujours prête à saisir tout ce qui approchait d’elle sous une forme à sa convenance, comment mistress Cadwallader eût-elle pu supporter que les deux misses Brooke et leur avenir matrimonial restassent pour elle un sujet étranger quand, depuis des années, elle avait l’habitude de sermonner M. Brooke avec une amicale franchise et de lui donner à entendre en confidence