Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/10

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Will lui avait ouvert la porte et offert le bras pour l’accompagner jusqu’à la voiture. Elle prit ce bras, sans rien dire. Will, péniblement contrarié, ne trouva de son côté rien à dire non plus. Il l’aida silencieusement à monter en voiture, ils se dirent adieu et Dorothée s’éloigna.

Durant un trajet de cinq minutes, elle eut le temps de se livrer à des réflexions toutes nouvelles pour elle. Sa résolution de se retirer, son empressement à quitter la chambre, lui étaient venus de l’idée soudaine qu’il y aurait quelque fausseté de sa part à consentir à un nouvel entretien avec Will, qu’elle ne pourrait pas révéler à son mari ; il y avait déjà assez de dissimulation dans le fait d’aller trouver Lydgate. C’était bien là, sans aucun doute, la seule pensée dont elle eût eu conscience ; mais elle avait cédé aussi à un vague sentiment de malaise. Les accents de cette voix d’homme et du piano qui l’accompagnait, auxquels elle n’avait pas fait attention au moment même, seule maintenant dans sa voiture, elle les entendait résonner au plus profond de son âme et elle arriva à faire avec quelque surprise la réflexion que Will Ladislaw passait son temps avec mistress Lydgate, pendant l’absence de son mari. Là-dessus elle ne put s’empêcher de se souvenir qu’il avait aussi passé quelques instants seul avec elle dans des circonstances semblables ; pourquoi donc y aurait-il alors dans ce fait quelque chose de choquant ? Mais Will était parent de M. Casaubon, elle était tenue de lui témoigner de la bienveillance. À certains indices cependant, elle aurait peut-être dû comprendre que M. Casaubon n’aimait pas les visites de son cousin, en son absence. « Peut-être me suisse trompée en bien des choses, » se dit la pauvre Dorothée, tandis qu’elle essuyait rapidement les larmes qui roulaient le long de ses joues.

Elle se sentait confusément malheureuse, et l’image de Will, qui jusqu’ici avait toujours été si pure pour elle, se