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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/111

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mon élève. Mais lorsque de l’état des affections d’une femme dépend le bonheur d’une autre vie, de plus d’une autre vie, je trouve que la conduite la plus noble de sa part serait d’être parfaitement droite et franche.

Mary, à son tour, demeura silencieuse, ne s’étonnant pas du langage de M. Farebrother, mais plutôt de sa voix qui exprimait une émotion grave, et contenue. Quand l’idée étrange lui traversa l’esprit, que peut-être les paroles du vicaire se rapportaient à lui-même, elle y resta incrédule et rougit d’en avoir eu la pensée. Elle n’avait jamais songé que nul homme pût l’aimer, excepté Fred qui l’avait épousée avec un vieil anneau d’ombrelle, à l’âge où elle portait encore des chaussettes et des petits souliers à rubans ; encore moins avait-elle pensé que M. Farebrother pût prendre intérêt à elle, M. Farebrother, l’homme le plus savant du cercle étroit où elle vivait. Elle n’eut que le temps de sentir combien tout cela était vague et peut-être illusoire, mais une chose était claire et résolue dans son esprit, sa réponse :

— Puisque vous le considérez comme mon devoir, monsieur Farebrother, je vous dirai que j’ai pour Fred un sentiment trop fort pour renoncer à lui en faveur de tout autre. Je ne serais jamais tout à fait heureuse, si je pensais qu’il fût malheureux de m’avoir perdue. Je lui suis reconnaissante de m’aimer toujours plus que personne et de tant s’inquiéter de ce qui me fait de la peine, depuis le temps où nous étions tout enfants, et cela a pris en moi une racine profonde. Je ne puis me figurer un sentiment nouveau venant affaiblir celui-là dans mon cœur. J’aimerais par-dessus tout le voir digne du respect de tous. Mais dites-lui, s’il vous plaît, que jusque-là je ne puis lui promettre de l’épouser. Je blesserais et j’affligerais trop mon père et ma mère. Il est donc libre de faire un autre choix.

— Eh bien, voilà ma mission remplie, dit M. Farebrother tendant la main à Mary. Je vais m’en retourner tout de