Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfum des roses entra silencieux dans le boudoir bleu vert où Dorothée se tenait de préférence.

Elle parcourut d’abord toutes les chambres de la maison, interrogeant les dix-huit mois de sa vie conjugale, et poursuivant ses pensées comme si ses pensées étaient des paroles que son mari dût entendre. Puis elle s’attarda dans la bibliothèque et n’eut pas de repos qu’elle n’eût soigneusement rangé tous les volumes de notes, comme elle se figurait qu’il aimerait à les voir dans leur ordre successif. La pitié qui, de son vivant, avait toujours agi en elle, pour la calmer et la vaincre, s’attachait encore à son image en même temps que son cœur indigné lui reprochait son injustice.

On sourira peut-être comme d’une espèce de superstition, en la voyant plier, cacheter et serrer dans son pupitre le « Tableau synoptique » à l’usage de mistress Casaubon, après avoir écrit dans l’enveloppe « Je n’ai pas pu m’en servir. Ne voyez-vous pas que je ne peux pas soumettre mon âme à la vôtre en travaillant sans espoir à une œuvre dans laquelle je n’ai pas foi ?Dorothée. »

Au travers et au-dessous de cet ordre de réflexions, un désir ardent et profond la possédait : le désir de voir Will Ladislaw. Elle n’attendait rien de cette entrevue ; elle était impuissante, on lui avait lié les mains pour l’empêcher de faire réparation à Ladislaw de l’injustice de son sort. Mais son âme avait soif de lui ; comment pouvait-il en être autrement ? Si une princesse des contes de fées avait vu une créature à quatre pattes se détacher du troupeau, venir à elle et y revenir encore, arrêtant sur elle un regard humain suppliant, comme si elle l’avait reconnue dans la foule, à quoi eût pensé la princesse durant son voyage, qu’eussent cherché ses yeux dans les troupeaux qui défileraient devant elle ? Sûrement, ce regard qui l’avait distinguée et qu’elle reconnaîtrait entre tous. La vie ne vaudrait pas mieux que le faux éclat d’une chandelle ou que la lueur blafarde d’un jour mourant,