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CHAPITRE V


À l’époque où M. Vincy exprimait ses tristes pressentiments sur l’avenir de Rosemonde, elle n’aurait jamais pu croire elle-même qu’elle en viendrait un jour à un appel de ce genre. Jusque-là elle avait mené, sans se préoccuper des dépenses ni des ressources de son ménage, une vie dispendieuse et mouvementée. Son enfant né avant terme n’ayant point vécu, la jolie layette brodée avait été momentanément mise de côté. Ce fâcheux événement était survenu à la suite d’une promenade à cheval qu’elle avait persisté à faire, malgré la défense expresse de son mari.

Ce qui excitait particulièrement en elle le goût du cheval, c’était la présence du capitaine Lydgate, troisième fils du baronnet, que détestait, je suis fâché de le dire, notre Tertius de même nom, comme un fat et un imbécile, avec ses cheveux séparés depuis le front jusqu’à la nuque et ce verbiage de l’ignorance sûre d’elle-même qui sait toujours tout. Lydgate se maudissait de s’être attiré cette visite en consentant à aller voir son oncle pendant leur voyage de noces, et il se rendit même assez désagréable à Rosemonde en lui en faisant la confidence intime ; car pour Rosemonde cette visite était une cause de joie sans précédent, quoiqu’elle sût gracieusement le dissimuler. Elle était si profondément pénétrée du fait de recevoir chez elle un cousin fils de baronnet, qu’elle s’imaginait que tout le monde devait en juger comme elle, et quand elle présentait le capitaine Lydgate à ses convives, elle éprouvait le sentiment confortable que sa qualité et son rang les pénétraient comme un parfum. Cette satisfaction suffisait pour le moment à atténuer certains