Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/195

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fondément malheureux, cet homme de vingt-neuf ans si richement doué de toute manière par la nature. Il ne se disait pas avec colère qu’il avait commis une immense erreur, mais l’erreur travaillait en lui comme un mal chronique reconnu, mêlant à tout projet ses importunités gênantes et troublant chacune de ses pensées. En traversant le corridor pour gagner le salon, il entendit des chants au piano. Ladislaw était là sans doute. Il y avait quelques semaines que Will avait pris congé de Dorothée, et cependant il était encore là, à son ancien poste de Middlemarch. Lydgate, en général, n’avait pas d’objections aux visites de Ladislaw, mais en ce moment il fut ennuyé de ne pas trouver son foyer libre. Lorsqu’il ouvrit la porte, les deux chanteurs continuèrent leur roulade, levant les yeux et le regardant simplement, sans considérer son entrée comme une raison de s’interrompre. Pour un homme écorché par son harnais comme l’était le pauvre Lydgate, ce n’est pas un adoucissant de se voir reçu par deux personnes en roucoulant tandis qu’il entre avec le sentiment que sa pénible journée lui réserve encore d’autres peines. Sa figure, déjà plus pâle que de coutume, prit un aspect sombre tandis qu’il traversait la chambre et se jetait dans un fauteuil. Will et Rosemonde ayant achevé tout naturellement les trois mesures qu’il leur restait à chanter, se retournèrent alors.

— Comment allez-vous, Lydgate ? dit Will, s’avançant pour lui serrer la main.

Lydgate prit la main qu’il lui tendait, mais ne répondit pas.

— Avez-vous dîné, Tertius ? Je vous attendais beaucoup plus tôt, dit Rosemonde qui avait déjà vu que son mari était d’une humeur atroce.

Et tout en parlant elle s’assit à sa place ordinaire.

— J’ai dîné, je prendrai un peu de thé, s’il vous plaît,