Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus à compter sur ses promesses que sur la crainte qu’on pouvait lui inspirer. Bulstrode, au contraire, avait au cœur la froide certitude que Raffles (à moins que la Providence n’envoyât la mort pour l’en empêcher), reviendrait à Middlemarch avant qu’il fût longtemps. Et cette certitude était une terreur. Ce n’est pas qu’il courût aucun risque de ruine ou de flétrissure judiciaire. Le danger qui le menaçait était de voir révélés au jugement de ses voisins et aux regards confondus de sa femme certains faits de sa vie passée, qui feraient de lui un objet de mépris et d’opprobre pour cette religion avec laquelle il s’était associé avec tant de zèle. La terreur d’être jugé aiguise la mémoire ; elle jette une inévitable clarté sur le passé longtemps déserté, auquel on avait pris l’habitude de ne plus se reporter que d’une manière générale.

Quand la mémoire redevient sensible à la douleur comme une blessure ouverte, le passé coupable d’un homme n’est pas seulement une histoire morte, une préface usée du présent : ce n’est pas une faute dont il s’est repenti et qu’il a secouée de sa vie, c’est une partie frémissante encore de lui-même, lui apportant des frissons et des parfums amers avec les tressaillements d’une honte méritée.

Jour et nuit, sans autre interruption que celle d’un court sommeil qui ne faisait que tisser de ses souvenirs et de ses craintes un présent fantastique, les scènes de sa vie passée venaient obstinément se placer entre lui et toutes les choses du présent.

Une fois de plus, il se vit jeune employé de banque, agréable de sa personne, aussi habile dans les chiffres qu’éloquent dans son langage et ami des définitions théologiques : membre éminent, malgré sa jeunesse, d’une église calviniste dissidente à Highbury. De nouveau, il s’entendit interpellé sous le nom de frère Bulstrode dans les réunions de prières, il se vit parlant sur les plates-formes où se tenaient les assem-