Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/254

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et à prévenir les conséquences fâcheuses pouvant résulter de ses déboires avec la clientèle. Un soir, ayant pris la peine d’aller à Middlemarch tout exprès pour avoir avec Lydgate une de leurs bonnes causeries d’autrefois, il remarqua en lui quelque chose de surexcité et de contraint, très différent de sa libre façon habituelle de garder le silence ou de le rompre par une brusque entrée en matière, dès qu’il avait quelque chose à dire. Tout le temps qu’ils restèrent dans son cabinet de travail, Lydgate parla presque sans interruption, posant des arguments pour et contre la probabilité de certaines vues biologiques, mais sans s’arrêter à aucune de ces idées bien définies, qui sont comme le poteau indicateur d’une patiente recherche et sur lesquelles il avait coutume d’insister. Il semblait uniquement, en parlant beaucoup, vouloir éviter toute allusion personnelle, et ils ne tardèrent pas à passer au salon, où Lydgate, après avoir prié Rosemonde de leur faire de la musique, se renversa dans un fauteuil sans rien dire, mais avec un étrange éclat dans les yeux. La pensée qu’il avait dû prendre de l’opium traversa l’esprit de M. Farebrother : était-ce contre une névralgie ou contre les fatigues de son métier ?

L’idée ne lui vint pas, que peut-être le mariage de Lydgate n’était pas parfaitement heureux. Il voyait comme tout le monde en Rosemonde une créature aimable et docile, bien qu’il l’eût toujours trouvée peu intéressante, un peu trop le type de la jeune fille accomplie de la pension de demoiselles ; et mistress Farebrother, la mère du vicaire, ne pouvait pardonner à Rosemonde de n’avoir jamais l’air de s’apercevoir de la présence de sa sœur, miss Henriette Noble. Mais enfin, se dit le vicaire, Lydgate s’est épris d’elle et elle doit être à son goût.

M. Farebrother connaissait Lydgate pour un homme fier ; mais ayant lui-même peu de fibres correspondant à celle-là, et peut-être trop peu souci de sa dignité personnelle, en