Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/298

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l’envie de défier un adversaire. Le défi était plus excitant que la confiance, mais il était moins sûr. Il continua de parier, mais il manqua plusieurs coups. Il persévéra quand même, l’esprit englouti aussi profondément dans ce gouffre béant du jeu que celui de n’importe lequel de tous les vulgaires individus qui flânaient autour de lui. Fred s’aperçut que Lydgate était en train de perdre vite et beaucoup, il vit que d’autres aussi remarquaient l’étrange conduite du médecin, si différent de lui-même, et il commença à se creuser la cervelle pour inventer un moyen d’attirer l’attention de son beau-frère sans le blesser, et peut-être de lui suggérer un motif de quitter la place. Mais il eut beau chercher, il ne lui venait rien à l’esprit, et il allait en désespoir de cause lui demander tout bonnement si Rosy était chez elle ce soir, lorsqu’un garçon s’approcha de lui avec un billet portant que M. Farebrother était en bas et demandait à lui parler. Fred ne fut rien moins qu’agréablement surpris, mais faisant répondre par le garçon qu’il allait descendre tout de suite, il alla à Lydgate comme poussé par une impulsion nouvelle, et l’attirant à l’écart :

— Puis-je vous dire un mot ? lui demanda-t-il. Farebrother vient de me faire prévenir qu’il désire me parler. Il est en bas. J’ai pensé bien faire de vous en instruire, dans le cas où vous auriez peut-être quelque chose à lui dire.

Fred n’avait fait que saisir ce prétexte parce qu’il ne pouvait pas dire : « Vous êtes en train de perdre furieusement et tout le monde vous regarde. Vous feriez mieux de vous aller. » Mais l’inspiration l’eût difficilement mieux servi. Lydgate n’avait pas remarqué Fred jusque-là, et son apparition soudaine en même temps que la présence de M. Farebrother lui produisit l’effet d’une brusque secousse.

— Non, non, répondit Lydgate. Je n’ai rien de particulier à lui dire. Mais la partie est finie, il faut que je m’en aille ; je n’étais venu que pour voir Bambridge.