Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/373

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pable : les gens, je crois, valent toujours mieux que leurs voisins ne le pensent, dit Dorothée.

Elle devait à la dure expérience qu’elle en avait faite, ces deux dernières années, une forte tendance à s’élever contre toute interprétation défavorable de la conduite d’autrui ; et pour la première fois, elle se sentit un peu mécontente de M. Farebrother. Elle n’aimait pas cette prudence à peser toutes les conséquences, là où elle n’aurait voulu que foi ardente dans les efforts de la justice et de la pitié, et dans le triomphe de leur force communicative. Deux jours plus tard elle l’avait à dîner, au manoir, avec son oncle et les Chettam, et quand le dessert, auquel personne ne touchait, fut sur la table, quand les domestiques eurent quitté la salle et que M. Brooke s’assoupit pour commencer sa sieste, elle reprit le sujet avec une certaine vivacité :

— M. Lydgate comprendrait que, si ses amis entendaient énoncer une calomnie sur son compte, leur désir dût être, avant tout, de le justifier. À quoi bon vivre, si ce n’est pas pour nous rendre la vie plus facile, les uns aux autres ? Je ne puis être indifférente aux peines d’un homme qui m’a conseillée dans ma peine et soignée dans ma maladie.

Il n’y avait pas dans le ton et dans les manières de Dorothée moins d’énergie qu’il n’y en avait déjà trois ans auparavant, lorsqu’elle présidait encore la table de son oncle, et depuis lors son expérience lui avait donné plus de droits d’exprimer une opinion arrêtée. Mais sir James Chettam n’était plus le soupirant timide et toujours prêt à s’incliner d’autrefois : c’était le beau-frère, plein de sollicitude, avec une pieuse admiration pour sa sœur, mais aussi avec une crainte constante de la voir retomber sous quelque nouvelle illusion presque aussi fâcheuse que celle d’épouser Casaubon. Quand il répondait : « Précisément », ce n’était plus avec le même sourire qu’autrefois, aux anciens jours de soumission, avant son mariage ; c’était souvent maintenant