Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/398

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active et ce qu’elle regardait de la part de son mari comme une fausse manière d’envisager les choses, entretenait chez elle une répulsion secrète qui lui faisait recevoir toute la tendresse de Lydgate comme une pauvre compensation du bonheur qu’il n’avait pas réussi à lui donner. Ils n’étaient pas en bien bons rapports avec leurs voisins et il n’y avait non plus rien à attendre désormais du côté de Quallingham, plus d’espoir nulle part, lorsque arriva une lettre de Will Ladislaw.

Rosemonde s’était sentie froissée et déçue par la résolution de Will de quitter Middlemarch, car en dépit de ce qu’elle savait et devinait de son admiration pour Dorothée, elle s’attachait en secret à la conviction qu’il en viendrait tout naturellement à avoir beaucoup plus d’admiration pour elle-même ; Rosemonde était une de ces femmes aimant toujours à se flatter que tous les hommes qu’elles rencontrent les auraient préférées, pour peu que cette préférence n’eût pas été sans espoir. Mistress Casaubon était certainement fort bien, mais Will, lorsqu’il l’avait connue, ne connaissait pas encore mistress Lydgate. Rosemonde croyait voir dans la manière dont il lui parlait, mélange d’ironie badine et de galanterie hyperbolique, le déguisement d’un sentiment plus profond, et elle éprouvait en sa présence ce délicieux chatouillement de la vanité et ce sentiment de romanesque que la présence de Lydgate n’avait plus le pouvoir de créer. Elle s’imaginait même (que n’imaginent pas les hommes et les femmes en pareille matière ?) que Will, en exagérant son admiration pour mistress Casaubon, ne voulait que la piquer elle-même. C’est ainsi que la pauvre cervelle de Rosemonde avait activement travaillé avant le départ de Will. Il eût fait, pensait-elle, un mari bien mieux assorti pour elle que celui qu’elle avait trouvé dans Lydgate. C’était bien la plus fausse idée du monde, car la déception que Rosemonde avait trouvée dans son mariage tenait aux conditions mêmes