Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/431

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me voir m’avilir, à me croire sincère envers elle parce que j’aurai été lâche avec vous.

Il commença à se promener avec agitation par la chambre comme une bête sauvage qui voit sa proie sans pouvoir l’atteindre. Puis il éclata de nouveau :

— Je n’avais pas d’espoir auparavant, ou bien peu, en quelque chose de meilleur. Mais j’avais une certitude, la certitude qu’elle croyait en moi. Quoi qu’on eût dit ou fait contre moi, elle croyait en moi. C’en est fait ! Elle ne me regardera plus que comme un misérable fourbe — ce délicat, ce raffiné, qui ferait ses conditions avant d’accepter le ciel, et qui, à la sourdine, allait se vendre au diable dans je ne sais quel marché… Elle me regardera comme une insulte vivante pour elle depuis le premier instant où nous…

Will s’arrêta : on eût dit que sa main avait rencontré un objet qu’il devait prendre garde de heurter et de briser. Il trouva une autre issue à sa rage en relevant encore une fois les paroles de Rosemonde, comme on poursuit des reptiles pour les écraser et les jeter au loin.

— Expliquer ! Dites à un homme d’expliquer comment il est tombé en enfer ! Expliquer ma préférence ! Je n’ai jamais eu de préférence pour elle pas plus que je n’ai de préférence pour l’air que je respire. Il n’existe pas d’autre femme à côté d’elle. J’aimerais mieux toucher sa main à elle, morte, que celle de toute autre femme vivante.

Rosemonde, tandis que Will lançait contre elle ces traits empoisonnés, perdait presque le sentiment d’elle-même, et croyait s’éveiller à quelque nouvelle et terrible existence. Elle n’éprouvait pas ce besoin de se justifier ni aucun sentiment de répulsion froide et résolue, tels qu’elle en avait connu lors des éclats les plus orageux de Lydgate. Toute sa sensibilité était concentrée dans une souffrance nouvelle et affolante ; elle se sentait anéantie et terrifiée sous un coup dont elle n’avait jamais fait l’épreuve auparavant. Ce qu’une