Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/444

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peut-être le berger avec son chien. Bien loin dans le ciel vers l’horizon elle voyait naître la lumière perlée du levant ; et elle sentait la grandeur de l’univers et les réveils multiples des hommes au travail et à la souffrance. Elle participait comme eux à ce mouvement involontaire et palpitant de la vie, elle ne pouvait se borner à la contempler du fond de son abri luxueux en simple spectateur, ni se boucher les yeux dans des plaintes égoïstes.

Elle ne voyait pas encore très clairement la résolution qu’elle pourrait prendre ; mais elle en percevait déjà les indices comme l’approche d’un murmure qui ne tarderait pas à devenir plus distinct. Elle ôta ses vêtements qui semblaient avoir en eux quelque chose de la lassitude d’une veille pénible et se mit en devoir de faire sa toilette. Bientôt elle sonna Tantripp qui arriva à moitié habillée.

— Comment, madame, vous ne vous êtes pas mise au lit de toute cette nuit ? s’écria Tantripp, regardant d’abord le lit, puis Dorothée, qui en dépit de ses ablutions d’eau froide avait les joues pâles et les paupières rougies d’une Mater Dolorosa. Vous vous tuerez, vous vous tuerez, pour sûr ; qui est-ce qui ne penserait maintenant que vous avez le droit de vous accorder un peu de repos ?

— Ne vous alarmez pas, Tantripp, dit Dorothée en souriant. J’ai dormi, je ne suis pas malade. Je serai contente de prendre une tasse de café le plus tôt possible. Et je vous prierai de m’apporter ma robe neuve, très probablement j’aurai besoin aussi de mon chapeau neuf aujourd’hui.

— Ils sont là depuis un mois et plus, tout à votre disposition, madame, et Dieu sait si je serai reconnaissante de vous voir quelques aunes de crêpe de moins sur les épaules, dit Tantripp se baissant pour allumer le feu. Il y a une raison à observer dans le deuil, comme je l’ai toujours dit : trois plis au bas de votre jupe et une simple ruche à votre chapeau ; et si jamais quelqu’un a ressemblé à un ange,