Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/448

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permettaient plus de penser à Dorothée qu’avec un retour de poignante douleur. Cependant, dans cette nouvelle et humiliante incertitude, elle n’osa rien faire d’autre que de se soumettre. Elle ne dit pas oui, mais se leva et laissa Lydgate lui jeter un châle sur les épaules, en la prévenant qu’il allait sortir. Puis une idée lui traversa l’esprit, et elle lui dit :

— Veuillez avertir Marthe de ne laisser entrer personne au salon.

Et Lydgate l’approuva, croyant parfaitement comprendre ce désir.

Il la conduisit en bas, jusqu’à la porte du salon, et là s’éloigna, faisant la réflexion qu’il devait être un mari bien maladroit pour laisser dépendre de l’influence d’une autre femme la confiance que sa femme avait en lui.

Rosemonde, enveloppée de son châle moelleux, s’avançait vers Dorothée, l’âme intérieurement enveloppée aussi d’une froide réserve. Mistress Casaubon était-elle venue pour lui parler de Will ? S’il en était ainsi, c’était une liberté faite pour la blesser ; et elle se disposa à ne faire aux paroles de Dorothée qu’un accueil d’impassible politesse. Will avait trop grièvement meurtri son orgueil pour qu’elle pût éprouver de remords vis-à-vis de lui et de Dorothée : c’était elle-même qui avait à se plaindre d’une bien autre injure ; Dorothée n’était pas seulement la femme préférée, elle avait aussi l’immense avantage d’être la bienfaitrice de Lydgate ; Rosemonde souffrait d’une vague impression que cette mistress Casaubon, cette femme qui dans tout ce qui la touchait l’emportait sur elle, devait être venue maintenant avec le sentiment de ses avantages et avec une animosité qui la pousserait à s’en servir. Le fait est que non seulement Rosemonde, mais que toute autre personne s’en tenant aux apparences, ignorant la simple inspiration qui faisait agir Dorothée, eût bien pu douter du motif de sa visite.