Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/452

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soucis cruels, que nous pourrions l’aider, et que nous n’essayons jamais ?

Dorothée, emportée par le sentiment qu’elle exprimait, oublia tout, si ce n’est qu’elle s’adressait, du cœur même de sa propre épreuve, au cœur de l’épreuve de Rosemonde. L’émotion avait de plus en plus gagné ses paroles, il y avait dans le son de sa voix quelque chose qui vous pénétrait jusqu’à la moelle, comme dans le faible cri de quelque créature souffrant dans les ténèbres. Et inconsciemment elle avait posé sa main sur la petite main qu’elle avait pressée auparavant.

Rosemonde, avec un saisissement de douleur irrésistible, comme si on venait de sonder en elle quelque blessure profonde, éclata en pleurs nerveux, comme elle l’avait fait la veille, lorsqu’elle s’était pendue au cou de son mari. La pauvre Dorothée sentait son chagrin revenir sur elle comme une grande vague, elle se demandait, malgré elle, quelle part pouvait avoir Will Ladislaw dans le trouble d’esprit de Rosemonde. Elle commençait à craindre de n’être pas capable de se contenir assez jusqu’à la fin de l’entrevue, et tandis que sa main reposait toujours sur les genoux de Rosemonde, dont la main s’était retirée, elle luttait contre les sanglots qui lui soulevaient la poitrine. Elle essaya de se dominer par la pensée que cet instant pouvait, dans trois vies, être un point décisif, pas dans la sienne, non, la sienne en était à l’irrévocable, mais dans ces trois vies qui la touchaient par le voisinage solennel du danger et de la détresse. Cette fragile créature qui pleurait tout près d’elle, il était peut-être encore temps de la sauver de la misère de liens irréguliers et faux ; et cet instant était unique : jamais elle et Rosemonde ne pourraient se retrouver ensemble avec une image aussi saisissante de la scène de la veille, imprimée au cœur. Les rapports qui existaient entre elles étaient assez particuliers pour lui donner, elle le sentait, une influence particu-