Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/64

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torturée par des craintes opposées. Mais ne puis-je attendre et réfléchir un peu ? Je désire de toute mon âme faire ce qui pourrait vous être agréable ; mais je ne puis donner de garantie si soudainement, bien moins encore quand il s’agit d’une chose que j’ignore.

— Vous ne pouvez donc pas avoir confiance dans la nature de mes désirs ?

— Accordez-moi jusqu’à demain, dit Dorothée d’un ton de prière.

— Jusqu’à demain donc.

Bientôt après elle l’entendit dormir, mais il n’y avait plus de sommeil pour elle. Tandis qu’elle se contraignait à rester tranquille dans son lit pour ne pas le troubler, son esprit soutenait un combat où l’imagination rangeait ses forces tantôt d’un côté tantôt d’un autre. Elle n’avait aucun pressentiment que ce que son mari prétendait exiger d’elle dans l’avenir eût rapport à autre chose qu’à son œuvre. Mais il lui semblait assez clair qu’il lui demanderait de se dévouer à débrouiller ces amas de matériaux, qui devaient être la douteuse démonstration de principes plus douteux encore. La pauvre enfant était devenue tout à fait incrédule au regard de la foi qu’on pouvait accorder à cette Clef qui avait été l’ambition et le labeur de la vie de son mari. Il n’était pas étonnant qu’en dépit de son peu de connaissance, son jugement sur ces matières fût plus vrai que celui de M. Casaubon ; car elle voyait dans leur vraie lumière et avec une puissance de comparaison, exempte de préjugés, sur quelles probabilités il avait, lui, engagé toute sa personnalité. Et maintenant elle se représentait les jours, les mois et les années qu’elle emploierait à classer ce qu’on pourrait appeler des débris de momies, des fragments d’une tradition qui n’était elle-même qu’une mosaïque fabriquée avec des ruines écroulées — à les classer pour en faire l’aliment d’une théorie déjà desséchée à sa naissance, comme un enfant mal venu.