Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/92

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— Ladislaw, continua-t-il à haute voix, passez-moi donc le mémorandum des cédules.

Lorsque M. Brooke se présenta au balcon, les acclamations furent assez fortes pour contre-balancer les hurlements, les rugissements, les aboiements et autres manifestations de la partie adverse, dont la modération ne laissa pas de surprendre M. Standish ; aussi, en oiseau rusé qu’il était, murmura-t-il à l’oreille de son voisin :

— Cela a l’air dangereux, par Dieu ! Hawley a dû trouver du plus sérieux.

Cependant les acclamations avaient quelque chose d’égayant, et M. Brooke, le mémorandum dans sa poche de devant, la main gauche appuyée sur la rampe du balcon et la droite jouant avec son lorgnon, était certainement le plus aimable candidat qu’on pût souhaiter. Les points frappants de son extérieur étaient son gilet chamois, ses cheveux blonds coupés court et sa physionomie calme et affable. Il débuta avec une certaine confiance :

— Messieurs, électeurs de Middlemarch !

C’était si bien ce qu’il fallait qu’une courte pause parut toute naturelle.

— Je suis extraordinairement heureux d’être ici, je n’ai jamais été si fier ni si heureux de ma vie, jamais si heureux, vous savez !

Ceci était une figure de rhétorique hardie, mais pas tout à fait à propos, au moment où les arguments nous échappent et disparaissent, quand la crainte s’est emparée de nous et qu’un verre de sherry circule à travers nos idées comme un soudain brouillard. Ladislaw, qui était debout prés de la fenêtre derrière l’orateur, se dit que tout était fini ; la seule chance c’était que, le mieux n’étant pas toujours ce qu’on imagine, des débats désordonnés pussent pour une fois, faire l’affaire. M. Brooke, pendant ce temps, ayant perdu toutes les clefs de son discours, se rabattit sur lui-même et