Page:Eliot - Silas Marner.djvu/31

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les sentiments de ces hommes primitifs, quand, poussés par la frayeur ou une humeur sombre, ils fuyaient de cette manière les regards d’une divinité ennemie. Il lui semblait que le pouvoir en qui il avait mis vainement sa confiance, dans les rues de sa ville natale et dans les réunions pieuses, se trouvait très éloigné de cette terre où il s’était réfugié, où les hommes vivaient insouciants, dans l’abondance, sans rien savoir et sans éprouver aucun besoin de cette confiance qui, pour lui, s’était changée en amertume. Le peu de lumière qu’il possédait, répandait ses rayons si faiblement, que sa croyance déçue était un voile assez grand pour créer dans son âme les ténèbres de la nuit.

Son premier mouvement, après le choc, avait été de se mettre à son métier. Depuis, il avait continué son travail sans rémission. Il ne se demandait jamais pourquoi, maintenant qu’il était venu à Raveloe, il tissait jusqu’à une heure très avancée de la nuit pour finir la pièce de linge de table de Mme Osgood plus tôt qu’elle ne s’y attendait, sans songer d’avance à l’argent qu’elle lui remettrait dans, la main pour l’ouvrage. Il semblait tisser comme l’araignée, simplement par instinct, sans réflexion. Le travail que tout homme poursuit avec assiduité, tend, de cette manière, à devenir un but par soi-même, et à lui faire ainsi franchir les vides sans attraits de son existence. La main de Silas prenait plaisir à lancer la navette, et ses yeux se réjouissaient de voir les petits carrés du tissu se compléter sous ses efforts. Puis, il y avait