Page:Eliot - Silas Marner.djvu/9

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aux villageois, était en lui-même suspect : les gens honnêtes, nés et élevés aux yeux de tous, n’étaient pour la plupart ni trop instruits ni trop habiles, — du moins leur science ne s’étendait pas au delà des signes des changements de temps, — et les moyens d’acquérir la rapidité ou l’habileté dans un art quelconque, étaient si complètement inconnus, que ces talents semblaient tenir du sortilège. Il arrivait ainsi que ces tisserands dispersés — émigrés de la ville à la campagne — étaient considérés toute leur vie comme des étrangers par les paysans leurs voisins, et contractaient généralement les habitudes excentriques, inhérentes à une existence solitaire.

Dans les premières années de ce siècle, un de ces tisserands, nommé Silas Marner, exerçait sa profession dans une chaumière bâtie en pierres, située au milieu des haies de noisetiers, près du village de Raveloe, et non loin des bords d’une carrière abandonnée. Le bruit vague de son métier, si différent du trot naturel et joyeux de la machine à vanner ou du rythme plus simple du fléau, exerçait un charme presque terrible sur les enfants de Raveloe, qui se passaient souvent d’aller cueillir des noisettes ou chercher des nids, afin de regarder par la fenêtre de la chaumière. Le mouvement mystérieux du métier leur inspirait une certaine crainte respectueuse ; toutefois, cette crainte était contre-balancée par le sentiment agréable de supériorité dédaigneuse qu’ils éprouvaient, en se moquant des bruits alternatifs de