Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/119

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échappée de ce genre, un mot du Bernica[1]. Autrement, l’idée du Dieu-Monde ne l’intéresse que littérairement ; c’est le néant qui répond à ses préoccupations, le néant divin de Midi, qu’il introduit d’une manière illicite jusque dans ses poèmes brahmaniques : Viçvamitra en parle[2], ce qui dans sa bouche est une horrible hérésie, et Hâri lui-même prononce ces mots : « mon néant sublime »[3], qui pour le lecteur non averti constituent une véritable obscurité. Et quand enfin s’il s’écrie : « Ô vieille Illusion, la première des causes ! »[4] il songe évidemment à la série des douze causes du buddhisme, et ne laisse aucune place pour un Être d’où tout est sorti. Il faut donc conclure au nihilisme pur, à la négation absolue qui ne laissait rien subsister ; on dirait que cela seul pouvait suffire à la passion destructrice du poète pessimiste. La seule fois que j’eus l’occasion de parler de Leconte de Lisle à un homme qui l’a connu personnellement[5], voici la formule par laquelle on me résuma cette philosophie : « Leconte de Lisle m’a toujours dit qu’il n’y avait rien, et que ce qui peut nous arriver de mieux, c’est d’y retourner.

  1. Poèmes barbares, p. 207. Les mots « en Dieu » de la dernière strophe y sont synonymes de « dans la nature ».
  2. Çunacépa, p. 50 des Poèmes antiques.
  3. La Vision de Brahma.
  4. Le Secret de la Vie.
  5. Catulle Mendès.