Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/120

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Cette petite phrase montre à merveille l’état d’esprit du poète. Théoriquement il sait très bien qu’il n’y a rien ; mais il se croit obligé d’y retourner : toute sa métaphysique n’a pas réussi à tuer dans son sentiment et son imagination le vieux réalisme. Par l’application de remèdes si violentsil avait espéré supprimer en lui toutes les passions et, particulièrement, les souffrances qui naissent de l’idée de la mort : le succès n’a pas répondu à son attente. Ce qui a les conséquences les plus graves, c’est qu’il n’arrive pas à se nier soi-même : il sait qu’il n’est rien, il ne se sent pas rien. Les sages du Bhâgavata-Purâna parvenaient à la béatitude parce qu’ils avaient le sentiment toujours présent que leur personnalité distincte était illusion pure (cette expression : « la fausse distinction du tien et du mien » revient à tout moment) ; la sagesse morale pour eux consistait dans l’application constante de cette idée qu’en réalité il n’y a pas de sujet qui puisse se passionner, et par là toutes les émotions du cœur nées du réalisme étaient coupées par la racine. Leconle de Lisle a fort bien compris à cet égard la pensée du Bhâgavata, comme en témoigne la Vision de Brahma[1], mais il ne semble pas que l’idée brahmanique du salut par la science

  1. Il a déjà été question de ce passage où Brahma, ayant vu Hâri, reconnaît et sent l’identité de son moi avec l’Être universel :

    Les constellations jaillirent de ses yeux, etc.