Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/125

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Lisle les en a blâmés jadis, au temps de son optimisme : il ne le fera plus maintenant :


Et maintenant, ô morts, le supplice achevé,
Goûtez-vous le bonheur que vous aviez rêvé ?
Le maître a-t il tenu sa promesse éternelle ?
Et votre âme, brisant l’enveloppe mortelle,
Comme un rayon léger qui remonte au ciel bleu,
S’est-elle réunie à la splendeur de Dieu ?
Nul ne sait ; mais qu’importe, ô race magnanime,
Qu’importe le réveil ? Le songe était sublime[1].


Mais, devant lui, aucun horizon religieux ; c’est en vain que, dans des élans momentanés, il demandera aux vents de l’emporter « vers les Dieux inconnus », car tout est connu, et il n’y a rien à attendre. Heureusement, si l’avenir et l’espérance sont interdits, il reste le passé et le souvenir ; s’il n’y a plus de Dieux inconnus, il reste les Dieux morts, et ce sont eux qu’évoque l’Homme :


Loin des globes flottants dans l’étendue immense,
Où le torrent sans fin des soleils furieux
Roule ses tourbillons de flamme et de démence,
Démon ! emporte-moi jusqu’au Charnier des Dieux.


  1. Ces vers se trouvent à la fin des Ascètes dans l’édition des Poèmes et poésies, 1855. Leconte de Lisle les a supprimés, sans doute à cause du caractère trop personnel de cette intervention du poète, comme il l’a fait pour le Désert, et aussi pour Ekhidna ; une seconde cause est cette fiction par laquelle il paraît douter du sort de l’âme, alors qu’en réalité il ne doute aucunement.