Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/124

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Et l’Homme dit : Démon qui hantes mes ténèbres,
Mes rêves, mes regrets, mes terreurs, mes remords,
Ô Spectre, emporte-moi sur tes ailes funèbres
Hors de ce monde, loin des vivants et des morts[1]


Mais « hors de ce monde », il n’y a que la religion qui y puisse porter, et c’est en effet vers elle qu’il se retourne. La seule manière d’échapper au pessimisme, puisque la vérité ne guérit pas, c’est de revivre les vieilles illusions en se remettant fictivement dans l’état d’esprit du croyant. Le nihilisme, l’ascétisme, la lutte contre les passions sont bons pour qui n’a plus de religion ; mais l’idéal, c’est de l’avoir encore. Peu importe qu’elle soit un pur rêve si le rêve est beau. Les ascètes chrétiens ont fait de leur vie une suite de supplices et sont morts en martyrs, « amants désespérés du ciel » ; Leconte de

  1. La Paix des Dieux. — Le Démon, « compagnon vigilant de ses rêves», qui évoque devant l’homme les Dieux morts et qui lui dit ensuite ce qu’ils sont réellement, peut signifier, m’a-t-il semblé, la Pensée, l’Intelligence. Peut-être est il simplement emprunté aux Rêveries d’un païen mystique de Ménard [Lemerre, in-16], où on lit, dans le dialogue intitulé Eschatologie, p. 116 :

    L’Homme : « …il y a peut-être autour de moi des intelligences invisibles, des amis connus ou inconnus. (Le Dieu apparaît.)

    L’Homme : Qui es-tu ? — Le Dieu : Ton Démon, ton Ange gardien, donne-moi le nom que tu voudras. Je sais ce que tu ignores ; ce que tu pourras comprendre, je te l’expliquerai : ce qu’il m’est permis de l’apprendre, je te l’apprendrai. »