Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/131

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ler. Quand la contusion cesse, c’est pour faire place à l’impersonnalité définitive.

Quand donc Leconte de Lisle jette un regard derrière lui, sur sa longue recherche aiguillonnée par cet éternel désir de Dieu que rien n’a satisfait, dans son propre passé religieux il aperçoit, le passé religieux de l’humanité : tout ce qu’il a éprouvé lui-même, il le retrouve comme projeté en proportions infiniment plus vastes sur le grand fond séculaire où se déroule l’histoire des peuples. L’humanité aussi est consumée de l’éternel désir, elle aussi, dans une longue recherche, a essayé de se reposer dans des croyances qui, l’une après l’autre, l’ont trompée : mais chaque fois, le désir infini l’entraîne à créer une croyance nouvelle ; l’ancien culte ne meurt que pour être remplacé, et ainsi de suite, à l’infini : les religions prétendent remédier à la vanité universelle, et le courant des vanités les emporte. Le poète, après toutes ses tentatives, a dû s’avouer impuissant et livré au doute : mais pas lui seul, car la terre entière gémit et se lamente avec lui :


Entendez-vous la plainte furieuse
D’un monde qui cherche son Dieu[1] ?


  1. Même en prose, Leconte de Lisle parle du « désir religieux » dont le genre humain souffre aujourd’hui. [Préface des Poèmes antiques.]