Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/149

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une fois pour toutes[1] ; et comme, dès le début, elle avait eu un caractère proprement social, elle pouvait persister à côté du sentiment religieux le plus fort : c’est un élément d’une nature différente, un autre courant qui continue tout le long de sa vie, comme qui dirait en marge de sa pensée, reparaissant après chaque interruption. À Rennes, elle paraît s’effacer ; mais nous la retrouvons dans toute sa vigueur chez le Leconte de Lisle de 1844, à Bourbon. Tout en philosophant sur le cœur et l’intelligence, il lance son trait à l’« iniquité romaine » : l’Église a « profané et blasphémé » Dieu et l’âme[2]. La lutte ardente que dans les années suivantes il mène aux côtés des fouriéristes ne fait que l’exciter. Fourier s’était attaqué comme au pire des adversaires à la doctrine de résignation et d’inertie qu’il voyait présenter comme l’application sociale du christianisme par les héritiers indignes des apô-

  1. Barracand (art. cité), après avoir parlé de l’éducation première de Leconte de Lisle : « De là chez Leconte de Lisle une sorte de siège fait, un mur solide aux vieux blocs cimentés où tout échouait. »
  2. Leblond, p. 163. Voici la phrase entière : « Tu n’as pas oublié les premiers bégayements que m’arrachait un instinct de justice sociale et religieuse, — mais non antireligieuse, car il y avait au fond de nos divagations d’enfant sur l’iniquité romaine un sentiment réel de sa mission déviée et comme un acte de foi implicite en la sublimité de l’âme de Dieu, profanés et blasphémés par elle. »