Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une race de marins garde dans ses yeux « le reflet azuré de la mer[1] ».

Mais il n’y a pas de poème où cette peinture si délicaie à faire de la naissance des Dieux soit exécutée avec autant de détail, avec la même finesse de touche et la même souplesse dans l’entrelacement du naturel et du surnaturel anthropomorphe que dans ce Massacre de Mona cité tout à l’heure, et dont elle est peut-être le principal mérite. Les Bretons sont réunis pour une cérémonie sacrée. C’est la nuit, une nuit d’orage très sombre, d’où les formes réelles des choses émergent à peine, déjà mystérieuses, toutes prêtes à être transformées par une imagination excitée. Les blocs de granit de la côte semblent des spectres,


Sombres spectres, yêtus de blanc dans ces ténèbres,
Et vomissant les flots par leurs gueules funèbres.


Dans le ciel, des nuages noirs. Le vent souffle, mais ce n’est plus simplement le vent, c’est déjà un Esprit :

  1. Le Runoïa [Poèmes barbares, p. 82] :

    Ses yeux ont le reflet azuré de la mer.

    Dans le poème finnois d’après lequel travaille Leconte de Lisle (on trouvera le texte dans le chapitre de Vianey sur le Runoïa), le reflet est sur la cuirasse du Dieu : Leconte de Lisle le place dans les yeux, parce que c’est par le regard que se révèle la vie intérieure.