Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/78

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dont on pourrait citer des slrophes entières ; quels vers caractéristiques par exemple que ceux-ci :


Les âmes sans vertu dorment d’un lourd sommeil,
Comme des arbrisseaux, viciés dans leur tige,
Qui n’ont verdi qu’un jour et n’ont vu qu’un soleil.


Sans vertu est expliqué par des termes qui expriment la maladie, la faiblesse ; verdir est la grande vertu[1]). Quant au danger d’égoïsme qu’une lelle doctrine ferait redouter, il est prévenu par une psychologie très complaisante : Fourier reconnaissait en l’homme douze passions, dont toutes celles que nous appelons « mauvaises passions » étaient exclues, et qui, au moment même de leur plus fort développement, aboutissaient à un « penchant naturel de l’individu à concilier son bonheur avec celui de tout ce qui l’entoure »[2]. Que Leconte de Lisle ait longtemps conservé cette théorie fantaisiste telle qu’elle était, cela n’est assurément pas probable ; mais l’esprit général lui resta sa vie durant.

Tout cet optimisme de Leconte de Lisle fut comme foudroyé par le même coup qui détruisit ses croyan-

  1. Ces vers datent de 1846 ; ils se trouvent dans les Ascètes, où il est dit de la décadence romaine :
    Les heureux et les forts étaient pris de vertige.
    Les faibles sans vertu dormaient d’un lourd sommeil,
    Comme des arbrisseaux, viciés dans leur tige,
    Qui n’ont verdi qu’un jour et n’ont vu qu’un soleil.
  2. Théorie des quatre mouvements, p. 116. [Bourgin, p. 205.]