Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/112

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demandant : « Qui suis-je ? » c’est Leconte de Liste tel qu’il était après la destruction de ses croyances. Et quand Hàri lui a révélé la vérité (« toute chose est le rêve d’un rêve »), c’est un ravissement ; son cœur « s’anéantit de volupté » : enfin il a entendu la voix qui entre en lui « pour n’en plus sortir ». Le désir éternel, la faim dont il moursit sont calmés : le Dieu qui révèle le néant des choses est pour Leconte de Lisle ce Dieu


Par qui l’Insatiable est enfin satisfait[1].


  1. Beaucoup d’erreurs ayant été accumulées autour de la Vision de Brahma, il est peut-être bon d’en donner ici une petite explication. (Pour se faire une idée de ce qu’était la matière philosophique et religieuse hindoue sur laquelle travaillait Leconte de Lisle, on n’a qu’à se reporter aux Sources de Leconte de Lisle de M. Vianey.) La Vision de Brahma est imitée du Bhâgavata et n’est pas moins viçnuïle que le poème de Bhagavat. Hâri est un nom de Viçnou qui, pour la secte à laquelle il donne son nom, est le Dieu suprême, le Dieu panthéiste, l’Un et le Tout. Brahma ici n’est qu’une divinité secondaire, une figure mythologique, un être plus puissant, mais aussi limité et aussi sujet à l’Illusion que l’homme : voilà ce qu’il ne faut pas oublier. Quant au sens philosophique du poème, il est simple et d’une clarté parfaite. Brahma, à la suite de ses recherches sur « l’origine et la fin », reconnaît : 1o l’existence d’un Dieu-Nature panthéistique ; 2o l’identité de son propre être avec l’être universel, du sujet et de l’objet, de soi et du monde, ce qui est exprimé poétiquement par les strophes de la page 59 à partir de « mais Brahma… » C’est une doctrine très vieille et très célèbre et que le Bhâgavata rappelle très souvent. Voilà donc le premier degré de la con-