Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/196

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où ce peuple, et la nature au milieu de laquelle il se développe, sont la création vivante de Dieux vivants[1]. On a fait remarquer avec raison le soin qu’il met à noter la répercussion du caractère d’une race et de ^es mœurs sur la religion ; et en effet, à ses heures simplement raisonnables c’est ainsi qu’il l’entend ; mais aux heures de poésie il se plaît à renverser les termes et à s’imaginer que c’est toute la culture et la grandeur d’une race qui est l’épanouissement de germes déposés par les Dieux. C’est pour cela que dans Hypatie, parlant de la génération qui abandonnait les Dieux anciens, il a pu dire : « peuples ingrats »[2] ; ingrats en vérité, car tout ce qu’ils étaient, c’est à ces Dieux qu’ils le devaient. Dans Hypatie et Cyrille, ce ne sont pas les Dieux grecs qui sont le symbole du monde grec, c’est le monde qui est le « symbole vivanl, » et eux, ils sont la réalité vraie :


Nos Dieux n’étaient-ils donc qu’un rêve ? Ont ils menti ?
Vois quel monde immortel de leurs mains est sorti,

  1. Le Runoïa qu’on menace de mort interpelle « le monde qu’il a conçu », « enfant de sa pensée ». Son cœur en est la source, et son cœur, dit-il, n’est pas près de se tarir. [Poèmes barbares, p. 90].
  2. Debout dans ta pâleur, sous les sacrés portiques
    Que des peuples ingrats abandonnait l’essaim.
    Ce mot d’une si grande portée n’apparaît que dans le texte de 1852 ; en 1847 il y avait peuples nouveaux, expression faible ou plutôt fausse. — Cf. Hypatie et Cyrille : « qu’un siècle ingrat s’écarte d’eux. »