Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/205

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l’un espère et que l’autre n’espère pas ; Leconte de Lisle dirait volontiers : parce que l’un espère encore et que l’autre n’espère plus.

Mais cet espoir, ou plutôt cet idéal par lequel le christianisme essaie de remplacer celui des païens (car, pour Leconte de Lisle, comme on verra, ce n’est en réalité pas un espoir), suffit pour les séparer profondément.

Le Dieu du christianisme, comme celui des Juifs dont il est dérivé, n’est plus dans la nature ; il est au delà du monde connu, gouvernant le monde du haut de ses cieux. Un abîme se creuse entre le réel et l’idéal, l’homme et la divinité. D’une part, une humanité qui n’a plus les qualités morales du polythéisme, pleine d’instincts bruts et crus ; d’autre part, bien loin et au-dessus d’elle, « le sombre Iahvèh muet au fond des ? cieux »[1], le Maître qui ne se révèle pas, et dont le rôle consiste à imposer une loi. Au lieu d’être pénétrée par l’idéal, la vie est soumise à un idéal qui la dépasse et qui est comme une autorité tyrannique. Du coup, ce nom de Seigneur sous lequel Leconte de Lisle jadis invoquait Dieu prend une tout autre valeur : Dieu est le tyran sous lequel l’humanité plie. La vie entière est sous la domination de fer d’une conception transcendante, raidie dans la forme du dogme ; le but où tend toute

  1. Qaïn. [Poèmes barbares, p. 2.]