Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/226

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tre au jour. Il dort dans les recoins poétiques de l’âme et n’afflue à la surface qu’aux heures de poésie. C’est à ces heures là qu’ont pris Leconte de Lisle les critiques qui ont cherché à dégager sa vraie personnalité[1], car c’est par celles-là seulement qu’il est le grand homme qui nous intéresse. Le caractère intime et profond fait au contraire défaut à l’antichristianisme : ce sentiment ne participe à rien de ce qui fait la supériorité de Leconte de Lisle, ni à la grandeur, ni à la délicatesse de son âme, mais c’est cela aussi qui le rend propre à être communiqué à tout le monde, à droite et à gauche. Chacun sait que ce que nous abandon nons à la conversation courante, c’est ce qui est pour ainsi dire la menue monnaie de l’esprit, et que nous réservons le vrai fonds : à plus forte raison un poète n’étale-t-il pas le plus profond de son âme. Pour Leconte de Lisle, l’antichristianisme est cette monnaie de cuivre qu’il jette au populaire : sans doute la monnaie de cuivre n’est pas de la fausse monnaie, mais celui qui juge par elle de tout le trésor n’a pas chance de se rendre compte de la vraie richesse du possesseur. C’est pourtant ce que des hommes qui

  1. Lemaître [Les Contemporains, t. II, p. 10] dit expressément : « Je le prends dans les moments singuliers où il vit sa vie de poète, aussi vraie que l’autre. »