Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/230

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jour 24 000 Israélites par la tribu de Lévi[1]. » On voit que Leconte de Lisle tient à ce caractère barbare au point de faire une observation qui n’est pas très juste et qui sent son parti pris : car on peut massacrer en un jour non pas 24 000, mais 100.000 hommes, et être capable de s’attendrir quand même, sur soi et sur les autres. À partir de là, le judaïsme sera enveloppé dans la même hostilité que le christianisme. Quand, dans le Discours sur Victor Hugo, il reprend sa phrase sur Moïse, il a soin de la corser en traitant les Hébreux non plus de féroces seulement, mais d’idolâtres et féroces. On pourrait même citer des traits qui sont exactement de la force de l’Holocauste ; dans Qaïn même il est indéniable que le caractère de sauvagerie est poussé à outrance, que le Dieu des prophètes est représenté brutal à plaisir et qu’il tourne à la charge.

Mais Qaïn possède ce qui manque à tous les autres poèmes antichrétiens : une grande idée centrale. Ce n’est plus à des représentants et à des suppôts que Leconte de Lisle s’attaque, c’est à Dieu lui-même et au despotisme divin ; ce qu’il vise, c’est le fond même du dogme, le principe dont tout dérive. Pour Leconte de Lisle, le point extrême auquel aboutit nécessairement cette conception de l’homme « entre

  1. Article sur Vigny [Derniers poèmes].