Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/245

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Dieux même mauvais, même tourmenteurs, même bourreaux, il y a l’accent de passion peut-être le plus fort de toute la poésie religieuse de Leconte de Lisle. Le poète a fait ressortir la violence de cette passion par un contraste probablement voulu : la Paix est peut-être le seul poème où les Dieux soient réprésentés avec leurs particularités les plus bizarres, les plus saugrenues, de sorte que ce long défilé monotone et triste est en même temps presque ridicule[1] ; et ce trait a sa valeur dans l’ensemble : tels qu’ils sont, l’homme les regrette. Leconte de Lisle a tant vécu poétiquement dans cette idée que toutes les religions furent vraies, il en est si plein, qu’on dirait que sa pensée même s’y est laissée prendre par instants. Dans la Paix des Dieux, l’Homme parle comme jadis Hypatie ou Uheldéda :


Ô Démon ! Mène-moi d’abîmes en abîmes,
Vers ces Proscrits en proie aux siècles oublieux,
Qui se sont tus, scellant sur leurs lèvres sublimes
Le Mot qui fis jaillir l’Univers dans les cieux.


Mais ici, dans ce poème de conclusion, au retour de tous ses rêves, Leconte de Lisle ne veut plus de

  1. Que l’on compare le défilé de la Paix des Dieux avec celui de Dies Iræ, ou encore les deux strophes relatives à l’Égypte avec Néférou-Ra.