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Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/165

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l’analysons pas. Vous devez traiter les jours avec respect ; vous devez être vous-même un jour, et ne pas l’interroger comme un professeur de collège. Le monde — tout ce qu’on dit, et tout ce qu’on connaît ou fait — est énigmatique, et ne doit pas être pris à la lettre, mais génialement. Pour bien comprendre quoi que ce soit, nous devons être au sommet de notre condition. Vous devez entendre l’oiseau chanter, sans essayer de le traduire par des noms et des verbes. Ne pouvons-nous avoir un peu de réserve et de soumission ? Ne pouvons-nous laisser briller l’aube ?

Tout dans l’univers avance par des voies détournées. Il n’y a pas de lignes droites. Je me souviens nettement du scholar étranger qui par sa visite me donna dans ma jeunesse une semaine heureuse. « Les sauvages des îles », disait-il, « se plaisent à jouer avec le ressac, arrivent sur le sommet de la vague, reculent avec elle, et recommencent ce délicieux exercice pendant des heures. Eh bien, la vie humaine se compose de mouvements semblables. Il ne peut y avoir de grandeur sans abandon. Mais ici, votre astronomie même est un espionnage. Je ne puis sortir et regarder la lune et les étoiles, sans qu’elles aient l’air de mesurer ma tâche, de me demander combien de lignes ou de pages j’ai achevées depuis la dernière fois que je les ai vues. Comme je vous l’ai dit, il n’en était pas ainsi à Belleisle. Les jours de Belleisle étaient bien différents, et reliés seulement par un parfait amour pour un même objet. Remplir l’heure présente — voilà le bonheur. Ô dieux, remplissez mon heure, afin que je ne dise pas quand j’ai fait une chose : « Voyez, une heure de ma vie s’est aussi écoulée » — mais plutôt : « J’ai vécu une heure. »