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Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/291

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Dans la jeunesse, nous vivons en un tumulte de passions, beaucoup trop sensibles, trop avides, trop instables. Plus tard, l’esprit et le cœur s’ouvrent, et fournissent des mobiles d’activité plus élevés. Nous apprenons les rétributions fatales qui accompagnent chaque acte. Alors — l’une après l’autre — ces bandes déréglées de destructeurs du temps disparaissent.

Un autre avantage capital de la vieillesse, c’est qu’un succès de plus ou de moins ne signifie rien. Petit à petit, elle a amassé un tel fonds de mérites, qu’elle peut très bien se permettre de vivre sur son crédit quand elle le veut. Lorsqu’il m’arriva de rencontrer Wordsworth, alors âgé de soixante-trois ans, il me dit « qu’il venait de tomber et avait perdu une dent, et que quand ses connaissances s’inquiétaient de l’accident, il répondait qu’il était heureux que cela ne lui fût pas arrivé quarante ans plus tôt ». Eh bien, la Nature veille à ce que nous ne perdions pas nos organes quarante ans trop tôt. Un avocat plaidait hier une cause à la Cour suprême, et j’étais frappé d’un certain air d’indifférence et de provocation qui lui allait très bien. Il y a trente ans, c’était une grave affaire pour lui que son plaidoyer fût bon et efficace. Maintenant la chose a de l’importance pour son client, mais non pour lui-même. Ce qu’il peut faire ou ne peut pas faire est fixé depuis longtemps, et sa réputation n’a rien à gagner ni à souffrir d’une nouvelle plaidoirie ou d’une douzaine. S’il lui arrivait en une circonstance nouvelle de s’élever tout à fait au-dessus de lui-même et d’accomplir quelque chose d’extraordinaire, naturellement, cela ferait aussitôt du bruit ; mais il peut descendre impu-