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Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/86

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Mais ces dons deviennent quelque chose de tout autre quand ils sont subordonnés à l’orateur, et le servent ; et nous allons à Washington ou à Westminster Hall, et pourrions bien faire le tour du monde pour voir un homme qui conduit son talent, et n’est pas emporté par lui — un homme qui, en poursuivant de grands desseins, a un pouvoir absolu sur les moyens de représenter son idée, et n’use de ces moyens que pour l’exprimer, situant les faits, situant les gens et, au milieu de l’inconcevable légèreté des êtres humains, ne déviant jamais un instant de la rectitude. Il existe pour chaque individu une formule acceptable de la vérité qu’il est le moins disposé à admettre — une formule si large et si pénétrante qu’il ne peut y échapper, et doit ou plier devant elle ou en mourir. Autrement le mot éloquence n’existerait pas, car c’est cela qu’il désigne. L’auditeur ne peut se dissimuler qu’on a montré à lui-même et à l’univers une chose qu’il ne désirait pas voir ; et comme il ne peut disposer d’elle, c’est elle qui dispose de lui. L’histoire des affaires ou des hommes publics en Amérique fournit aisément de tragiques exemples de cette force fatale.

Pour les triomphes de l’éloquence, il faut encore quelque chose de plus — que l’homme soit renforcé par les événements, de manière à avoir la double puissance de la raison et du destin. Dans l’éloquence supérieure, il y a toujours eu une crise des choses, crise telle qu’elle engage profondément l’orateur dans la cause qu’il plaide, et concentre tout cet immense pouvoir sur un seul point. Pour qu’il y ait explosions et éruptions, il faut qu’il y ait quelque part une accumulation de chaleur, qu’il y ait au